
Notre dernier numéro
La revue Lapsus Numérique #8 : Pourquoi (pas) la Haine ?
Avec la floraison des discours haineux en arrière-fond de la dissolution de l’Assemblée Nationale en juin 2024, la question de la haine s’est imposée à nous avec urgence. Peut-être était-ce aussi une affaire de vie ou de mort du Collectif ? Avec ce numéro, il est maintenant question de sortir de la torpeur sidérante dans laquelle nous plonge le contexte politique éminemment contemporain, au sens d’Agamben. Il s’agit de fabriquer quelque chose en dyschronie avec ce qui, du contemporain « neutralise les lumières dont l’époque rayonne, pour en découvrir les ténèbres » (Qu’est-ce que le contemporain ?, 2008): qu’est-ce qui se répète dans l’abjecte montée des ségrégations qui fait notre actualité ? Qu’est-ce qui, de la Haine, échoue à se traiter sur le mode symbolique, pour faire retour de manière si froide, si violente dans l’avènement capitalistico-totalitaire qui secoue le monde occidental ?
Si Lacan nous apprend que « le lien social ne s’instaure que de s’ancrer dans une certaine façon dont le langage s’imprime, se situe sur ce qui grouille ; c’est-à-dire l’être parlant » (Encore, 1972), il est évident que le contexte politique et social actuel a des effets délétères sur les quatre discours qui nous permettent de tenir ensemble. Comment ne pas en faire l’expérience dans le champ de la clinique et de la pratique qui nous invitent à reconsidérer ce qu’on prend parfois pour du soin ? La novlangue dans les établissements, sous couvert d’une bienveillance douteuse, n’a de cesse de ségréguer, exclure, rejeter, broyer les sujets. La haine a, bien sûr, des effets sur le langage ! Si elle est, sur le plan imaginaire, la haine entre deux individus, quand elle s’adresse au symbolique, elle gangrène les mots qui nous parlent. Le consensus, la bienveillance, le Care, n’ont souvent qu’un résultat : l’expropriation subjective, toujours des plus défavorisés. Quant à l’image, sa mise au service d’une industrialisation de la ségrégation et de l’enfermement ne peut que nous questionner sur notre position de spectateur, et sur la fonction, plus que jamais essentielle, de ceux qui produisent des images : les artistes. Le dialogue psychanalyse, arts et politique nous convoque au travail, à la réflexion, à l’écriture, et aux rencontres.
Une issue
Les deux séries de photographies qui estampent cette revue sont issues d’une rencontre déterminante avec le travail de l’artiste plasticien et vidéaste Nicolas Clauss. Sa façon d’interroger frontalement la question du cadre et du regard nous a permis de construire et penser toute l’ambivalence de notre question… Pourquoi (pas) la haine ?
Dans la série Frame - en couverture - par ses installations vidéos et ses dispositifs interactifs, Clauss met en scène des figures enfermées, encadrées, morcelées, qui s’agitent dans des boîtes numériques. Si la haine, au sens psychanalytique, surgit souvent comme ce qui déborde le cadre, ce qui excède la loi symbolique et les limites du vivre-ensemble, Clauss semble choisir paradoxalement d’en offrir une figuration strictement contenue. Son œuvre en mouvement s’arrête pour les besoins d’une publication papier sur un temps figé, qui suspend le flot du mouvement habituel et fait émerger les tensions sous-jacentes à une expression, une contorsion fixe. Mais les images de Clauss ne nous apparaissent pas comme de simples captations de gestes ou de regards : elles sont montées, découpées, chorégraphiées par un algorithme qui décide du rythme, avance ou recule les boucles, distribue le hasard et supprime toute liberté de mouvement. L’individu filmé devient un pantin numérique, coincé dans un va-et-vient dicté par la machine. Cette capture algorithmique nous semble moins résonner avec une fantaisie technique qu’une métaphore de l’aliénation moderne. Nous sommes, à l’image de ces figures, enfermés dans des dispositifs politiques et économiques qui nous assignent à des cases, à des rôles figés, en nous faisant croire que nous jouissons librement. Ne pouvons-nous pas nous risquer à une analogie entre l’œuvre de Clauss et le fonctionnement des grands établissements normatifs : dictés par l’impudence du DSM, la prison, l’hôpital psychiatrique, ne sont-ils pas autant de lieux où l’on range les individus dans des boîtes diagnostiques ? Clauss, par la fragmentation de l’image, rejoint notre problématique clinique : il morcelle les corps, décompose les regards, et rend visible ce que produit l’enfermement, non seulement spatial mais subjectif.
Lapsus Numérique x Nicolas Clauss
Il y a là, d’emblée, une affaire de transmission. Transmettre au-delà, et aux entours, des lieux d’enseignement et de diffusion classiques : telle semble être la vibration qui traverse le travail de Nicolas Clauss. Il parait tisser un lien ténu et subtil avec la marge, la périphérie, le bord. La dimension territoriale de son travail se reflète dans une topique qui amplifie la question géographique, portée par l’impératif d’un ailleurs comme d’une présence. Il s’agit alors de tenir les murs en des Terres Arbitraires, seul, pour mieux saisir quelque chose du Collectif et du lien qui ne cesse d’échapper à la doxa. Non pas dans une demande adressée à l’autre, mais dans une honnêteté, une authenticité et une tranquillité qui nous percutent de manière spéculaire dans ce qu’il saisit de ces rencontres à l’image. C’est, semble-t-il, tout le pari de cette ambulation dans les cités de Mantes-la-Jolie, Marseille, Roubaix…
Justement, ce qui semble conditionner la possibilité d’une création s’attrape du côté du hasard, de l’aléatoire de la rencontre et du lien. Cette dimension est éclatante dans Frames, où il a créé un dispositif qui laisse suffisamment d’espaces et de marges pour que le hasard de la rencontre continue à œuvrer. Des gens ordinaires. Ce qui advient. Cette contingence, produite par un algorithme ou par les petites annonces, ouvre la voie à la surprise. Voilà ce qui a résonné du côté de notre thème, mais surtout de notre champ et éventuellement de notre pratique. Son art révèle ainsi une tension entre sujet et collectif, comme le revers d’une même médaille (d’ailleurs, Lacan dit bien que « le collectif n’est rien d’autre que le sujet de l’individuel ») qui nous traverse et nous enseigne.
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